Atelier de teinture et nuancier

Atelier de teinture et nuancier

La couleur est essentielle dans le travail de transposition textile. Elle est d'abord créée dans l'atelier de teinture resté au même emplacement depuis son organisation par Colbert en 1665. La couleur est ensuite référencée au Nuancier, véritable album géant de classification, de mémorisation, de présentation de l'ensemble des laines colorées teintes et utilisées par les manufactures.

Atelier de teinture

L’histoire

Héritier des ateliers de teinture établis depuis le XVe siècle au bord de la Bièvre (dont celui d’un certain Jehan Gobelin qui donna son nom à la Manufacture et dont le nom est devenu dans de nombreuses langues synonyme de tapisserie), l’atelier de teinture fut officiellement organisé par Colbert en 1665. Il est resté depuis lors au même emplacement, dans l’enclos des Gobelins.

XVIIe siècle : C’est à un maître teinturier hollandais, Josse Kerchove, que Le Brun confie la réorganisation de l’atelier de teinture des Gobelins. Son emplacement dans l’enclos historique, à droite de la chapelle, reste à ce jour inchangé.

Jusqu’au XIXe siècle, les matières tinctoriales étaient des colorants naturels. Les principaux étaient d’origine végétale : la gaude (jaune), la garance (rouge orangé), l’indigo (bleu) ou animale : la cochenille (rouge violacé).

Longtemps réalisée  à l’aide de ces colorants naturels, la teinture des laines et des soies se fait aujourd’hui exclusivement au moyen de pigments synthétiques. L’atelier de teinture a en effet progressivement tiré parti de la chimie, évoluant peu à peu de la méthode pragmatique des « secrets de fabrique » vers une méthode expérimentale plus scientifique.

1838 : création du cercle chromatique par Eugène Chevreul, savant chimiste, professeur au Collège de France, qui fut directeur de l’atelier jusqu’à ses quatre-vingt-trois ans (1824-1883). Cette méthode supplante les nuanciers jusque-là utilisés, grâce à la définition à partir des trois couleurs de base 72 tons et 14 400 coloris.

Aujourd’hui : le nuancier de Chevreul a pu être numérisé. Appelé N.I.M.E.S, ce nouveau système interne de classification des couleurs répertorie plus de 20 000 coloris sur laine, identifiés par un colorimètre géré par un logiciel scientifique mis au point par les manufactures. Ce nuancier est utilisé par les lissiers lors de la phase de choix des coloris qui précède le tissage.

Ces coloris, après avoir longtemps été réalisés à l’aide de colorants naturels d’origine végétale, sont à présent exclusivement préparés au moyen de pigments synthétiques. On teint toujours à l’écheveau mais les cuves en bois ont été remplacées par des cuves en inox.

La technique

Recette pour faire une bonne teinture :

  • dans une cuve en inox verser 250 litres d’eau adoucie
  • faire chauffer à 50°
  • plonger 4kg de laine écru dégraissée et anti-mitée, portée par une barre métallique
  • laisser tremper 1/4h de chaque côté pour que les écailles de la laine s’ouvrent
  • sortir la laine
  • mettre dans une grande louche ou Cassin la quantité nécessaire de colorants (formule préalablement établie) + acide sulfurique (aide à la fixation du colorant) + sulfate de sodium pour l’unisson + eau chaude pour diluer
  • verser le tout dans la cuve et mélanger
  • remettre la laine à tremper
  • chauffer progressivement jusqu’à 100° en tournant régulièrement la laine pendant toute la durée de la cuisson, 2h30 à 3h
  • sortir la laine et comparer avec l’échantillon
  • faire les corrections si nécessaires (on peut faire jusqu’à 5 corrections)

Après cette opération, les écheveaux sont mis en bobines par les magasinières et stockés dans les différentes manufactures pendant tout le temps du tissage.

cercle chromatique

Photo © Mobilier national, Thibaut Chapotot


L’art des teinturiers est de composer des nuances dont l’éclat et la solidité défient le temps. L’atelier de teinture, officiellement organisé par Colbert en 1665 lorsque les Gobelins deviennent une manufacture royale, est resté depuis lors au même emplacement. Le plus célèbre de ses directeurs a été le chimiste Chevreul qui resta en fonction pendant 60 ans. A partir de ses recherches menées sur les contrastes chromatiques, Chevreul élabora une véritable grammaire de la couleur en mettant  au point un système de classification sous forme d’un espace hémisphérique : le cercle chromatique.

L’atelier a pour mission de teindre la quantité (kilotage) de fibres textiles nécessaire à l’exécution ou à la restauration de tous les tapis et tapisseries. Il faut entre 1kg500 et 2kg500 par m² pour une tapisserie et de 8 à 10Kg au m² pour un tapis. L’atelier teint annuellement une moyenne 600kg de laine, 10kg de soie et 10kg de lin. Il reproduit les échantillons sélectionnés au nuancier ou crée des couleurs inédites nécessaires à la transposition du modèle mis en production. Il élabore, en collaboration avec le licier et l’artiste, de véritables combinaisons chromatiques, c’est un véritable processus de co-création. Le teinturier est le garant de la pérennité des teintes utilisées, son rôle est aussi d'attirer l'attention sur les couleurs qui risquent de poser des problèmes de vieillissement au cours du temps. Il est important que toutes les couleurs d'une même œuvre se transforment de façon équilibrée et harmonieuse. La visite de l'atelier de teinture rend l'artiste très réceptif à toutes ces questions.

La longévité de l’œuvre tissée dépend non seulement des coloris qui doivent être résistant à l’action de l’air et de la lumière mais aussi des colorants qui les composent. Leur nombre doit être restreint. Moins on mélange de molécules différentes et plus le résultat sera satisfaisant et fiable. Toutes les couleurs sont faites aujourd’hui au moyen de colorants de synthèse à base tri chromique rouge-jaune-bleu. Les colorants naturels d’origine végétale (gaude, garance, indigo) ou animale (cochenille) ont été progressivement abandonnés à partir de 1911. Les procédés étaient longs, compliqués, utilisant parfois des produits toxiques et les résultats restaient très aléatoires.

cercle chromatique

Photo © Mobilier national, André Morin


Nuancier

Le N.I.MES est le nuancier du Mobilier national. C’est une sorte d’album géant de classification, de mémorisation, de présentation et de communication de l’ensemble des laines colorées teintes et utilisées par les manufactures. Il est un outil de dialogue entre artiste et artisan pour l’étude et la mise au point des ensembles colorés appelés : échantillonnages.

Il existe, sous sa forme modernisée depuis 1986. Il est l’héritier du système de classification élaboré par Eugène Chevreul, chimiste, directeur des ateliers de teinture aux Gobelins de 1824 à 1883 et concepteur de la loi des contrastes simultanés des couleurs. À la différence du modèle de classification de Chevreul, qui ne comptait que deux critères, le nuancier d’aujourd’hui  comprend trois dimensions : tonalité, clarté, saturation. Ce système permet aux nouvelles teintes, plus vives,  issues de la pétrochimie de trouver leur place au sein de ce service.

Le N.I.MES propose, dans un grand meuble à tiroirs verticaux, des échantillons amovibles de fil de laine (stockage physique). Ces échantillons ont été préalablement numérisés et enregistrés dans une base de données (stockage informatique) en fonction de leur exacte courbe chromatique au moyen d’un « spectrophotocolorimètre ». Chaque échantillon « scanné » (fil de laine colorée enroulée sur un petit carton)  se voit attribuer une échelle de clarté et de saturation, ainsi que la référence de sa tonalité. Il est ensuite accroché sur un  des 72 panneaux suivant ses coordonnées. Ces 72 panneaux correspondent aux 72 tonalités de base, chacun classé de 0° à 355°. Ils peuvent chacun contenir potentiellement plusieurs centaines de nuances. Ces échantillons plats destinés à la tapisserie trouvent leur équivalence sous forme de pompons pour les tapis au point noué. En effet, la couleur générée par la masse des fils coupés diffère de celle sur fil en aplat. Il est primordial d’offrir un outil qui prend en compte les spécificités de chacun des savoir-faire des manufactures.

Dans la mise en œuvre des tissages de tapis ou tapisseries et même de dentelle, le travail d’échantillonnage des couleurs est la première démarche essentielle. La nouvelle classification facilite ce travail par les manipulations et les comparaisons de 14.000 valeurs de ton. La transposition d’un modèle passe par le choix des couleurs. Tous les protagonistes du projet se réunissent au nuancier. Les artisans, l’artiste, le teinturier débattent sur les meilleurs choix possibles. Ils s’appuient beaucoup sur la loi du contraste simultané de Chevreul qui permet de palier la difficulté d’obtenir des tons clairs et saturés, fiables et solides dans le temps, comme les bleus turquoises. On joue alors sur les contrastes chromatiques qui permettent de rehausser et de souligner les teintes. Si l’artiste souhaite un blanc absolu, les autres couleurs sont échantillonnées de manière à faire ressortir l’écru de la laine le plus blanc possible.

Le teinturier peut à la demande créer des couleurs inédites. Ainsi d’année en année, le corpus du N.I.MES s’enrichit et se complète de nouvelles références colorées, qui portent, outre leurs coordonnées scientifiques, le nom de l’artiste pour lesquelles elles ont été fabriquées.

La mémorisation des couleurs, sur une banque de données, offre par ailleurs la possibilité de suivre le vieillissement des pigments, de retisser une œuvre dans ses tons d’origine ou de faciliter la recherche d’une couleur ancienne pour les restaurations.

Nuancier

Photo © Mobilier national, Thibaut Chapotot